16.3.09

L'ADT en question. Inteview Table Ronde de La Libre Essentielle du 14 février

table ronde Depuis janvier 2009, la Région Bruxelloise est dotée d’une ADT (Agence de Développement Territorial). Son objectif est double : être à la fois un outil de connaissance et un outil opérationnel du développement des grands projets urbains de Bruxelles. La mise en place de cet organisme pose toutefois la question de son indépendance politique et de ses compétences. THIERRY LAFFINEUR ADT BRUXELLES indépendante ou exécutante ? Pour en débattre la présente table ronde réunissait : Nathalie GILSON, Députée bruxelloise (MR) et Echevin de l’Urbanisme à Ixelles, Philémon WACHTELAER, Architecte, Vice président ULI (Urban Landscape Institute), Joachim DECLERCK, Directeur du Centre for Architectural Research & Development à l’Institut Berlage, Luc MAUFROY, Directeur de l’ADT Bruxelles, Willem DRAPS, Député-Bourgmestre (MR) de la Région Bruxelloise et Pascal HANIQUE, Consultant en droit Immobilier et Adm. JCX Immo. TH. LAFFINEUR > Quelles critiques fait-on à l’ADT au regard de sa mission ? PH. WACHTELAER > Selon sa lettre de mission l’ADT doit développer une vision prospective du développement urbain de la ville/région et fournir aux autorités le substrat nécessaire aux prises de décisions politiques des futurs aménagements. Pour être incontestable, sa crédibilité doit reposer sur sa neutralité, à savoir les compétences scientifiques et objectives de ses membres. Les exemples des ADT des autres villes européennes illustrent ce positionnement. Or, aujourd’hui, on relève un double hiatus : – La vision de l’ADT Bruxelles ne peut se limiter aux seules 19 communes; – Son orientation politique est trop marquée par l’actuelle majorité et, en conséquence, sa neutralité contestable. BRAS ARME DU GOUVERNEMENT ? N. GILSON > L’ADT pose effectivement la question de son positionnement, puisqu’elle est présentée tel le bras armé du gouvernement. En d’autres mots elle semble n’avoir été créée que pour exécuter les grands projets et en coordonner les différents acteurs. Eludant la mission de réflexion, on lui confie d’ores et déjà de passer à la phase opérationnelle du PDI (Plan de Développement International) de Bruxelles. J’ajoute que ce PDI, élaboré par un bureau d’études, n’a pas suivi les procédures consultatives et participatives habituelles. En conséquence il s’agit (à quelques mois des élections) de faire exécuter par l’ADT, une décision gouvernementale. Contrairement aux ADT auxquelles on demande une réflexion argumentée, l’agence de Bruxelles se voit investie d’une mission de mise en oeuvre d’un plan ! W. DRAPS > Pour avoir, en tant que représentant des communes, assister à plusieurs réunions de l’ADT Bruxelles, le moins que l’on puisse dire est que le poids des cabinets ministériels actuels y est déterminant. Alors que ce qui est demandé est de disposer d’un organisme politiquement indépendant, compétent et capable de rassembler les acteurs de la ville autour de projets mobilisateurs, l’ADT semble devoir agir ‘à vue’, au rythme de propositions ponctuelles (ex. : construction d’un stade, demande de l’UE,..). On slalome entre une multiplicité d’objectifs sans avoir de vision globale à long terme et sans être capable de s’extraire du marigot politique quotidien. L. MAUFROY > Parmi les multiples raisons de la création de l’agence, la première est de mieux connaître l’évolution du territoire de la ville. Grâce à l’ADT, on dispose aujourd’hui d’une photographie actualisée de la structure socioéconomique des quartiers. L’agence fait donc ses preuves à ce niveau. Par ailleurs, les acteurs institutionnels et administratifs ont relevé l’absence d’un interlocuteur unique pour la réalisation de grands projets. Le rôle de l’agence est aussi d’être cet interface/référent nécessaire à la mise en oeuvre des projets des zones stratégiques identifiées à travers les différents plans (PDI, PRAS, etc.). Il s’agit de faire sortir de terre ces projets pour lesquels existe déjà une solution d’aménagement basée sur un accord global. NEUTRE ET NON CONSENSUEL J. DECLERCK > Durant les dernières décennies, l’impact du secteur privé et de la promotion immobilière sur l’aménagement/développement du territoire est devenu déterminant. Dans ce contexte, les plans et instruments dont disposent les pouvoirs publics ne correspondent plus à une gestion dynamique et stratégique des villes dont les enjeux (croissance, écologie, mobilité, etc.), requièrent une vision cohérente et transversale. Créées pour répondre à ces enjeux, les agences fournissent aux politiciens des choix (non-consensuels) élaborés par des experts et généralement adoptés par le politique. (Ex. : A Bordeaux, l’agence démontra que la mise en place d’un tramway était préférable à celle d’un métro. Les autorités suivirent cet avis). Le rôle de l’ADT de Bruxelles devrait donc être l’élaboration d’une vision cohérente et forte de la Région bruxelloise. Ce n’est pas le cas, puisqu’elle se positionne tel un interface élaborant un consensus entre différentes opinions. L. MAUFROY > Vous faites déjà le procès d’une structure qui n’en est encore qu’à la phase de recrutement de ses compétences ! J. DECLERCK > Nous disons que si l’ADT a pour objet l’exécution du PDI, c’est un mauvais départ ! L. MAUFROY > La lettre de mission doit certes encore être adaptée et améliorée. Cela étant, nous sommes tous conscients de la nécessité de nous inscrire dans une vision prospective et objective, seule capable de proposer au politique les éléments d’une prise de décision. W. DRAPS > L’ADT n’est qu’une évolution de la SRDU (Secrétariat Régional de Développement Urbain). Sa procédure de mise en place, le moment choisi pour son installation autant que les personnes qui la com- posent ne vont pas dans le sens d’un organe neutre, créatif et susceptible d’exposer des vues mobilisatrices. Je partage avec d’autres l’idée que nous avons déjà beaucoup trop de plans à Bruxelles (PRD, PRAS, PPAS...). En marge de ces niveaux réglementaires l’ADT doit être une sphère de réflexion indépendante et non un outil de mise en oeuvre de plans concoctés par les gouvernements successifs. TERRITOIRE : AU-DELA DES 19 COMMUNES PH. WACHTELAER > Il conviendrait aussi de parler du territoire de réflexion. Il y a dans le chef de l’ADT une erreur qui consiste à limiter son approche aux 19 communes. Or, qu’on le veuille ou non, l’avenir de la Région Bruxelles-Capitale ne peut se concevoir qu’en l’intégrant à celui des 2 Brabants, tant les interactions économiques sont évidentes. L. MAUFROY > Il n’est dit nulle part que le territoire de réflexion de l’ADT était limité au 19 communes. P. HANIQUE > C’est exact. Toutefois, dans la mesure où l’ADT est une émanation du gouvernement régional bruxellois, aucun autre gouvernement régional ne s’y impliquera. Il aurait fallu un accord de coopération préalable entre les 3 régions afin de définir les modalités de composition et de fonctionnement de l’agence. L. MAUFROY > Cela n’empêche pas de réfléchir en termes supra régional. P. HANIQUE > Certes, on peut toujours réfléchir dans son coin. Cependant, à l’instar des autres plans que Bruxelles a envoyés, pour avis, à la Région flamande, les projets de l’ADT resteront lettre morte pour n’avoir pas consulté ladite Région flamande dès le départ. Il est toujours préférable de collaborer le plus en amont possible. En outre l’ADT est une asbl, c’est-à-dire qu’elle n’est responsable de rien vis-à-vis de personne, contrairement à l’administration qui relève d’un Ministre responsable devant le Parlement. Comment dès lors coupler les actions de l’ADT dans le cadre des procédures administratives existantes (ex. : octroi de permis) ? Les responsables seront toujours l’administration, la commune ou le fonctionnaire délégué et non une asbl ! L. MAUFROY > Vous nous prêtez plus de pouvoir que nous n’en avons. L’ADT est avant tout un facilitateur d’implémentation des projets. N. GILSON > La mise en place de l’ADT peut alors aussi être interprétée comme un désaveu de la Cellule de Planification de l’Administration ou de toutes les structures administratives en charge d’exécuter la politique gouvernementale. UN LIEU DE CONFIANCE ET D’AMBITION J. DECLERCK > Pas obligatoirement. L’objectif d’une ADT est de dynamiser le développement urbain parallèlement aux instruments existants. L’ADT doit donc être un lieu de confiance donnée à la logique, à la neutralité et à l’expertise, seules garanties de crédibilité de ses propositions. W. DRAPS > C’est une vision parfaite mais idéalisée. Le compte rendu de la Commission d’Aménagement du Territoire rapporte, quant à lui, que M. Ch. Picqué considère que l’agence est le bras séculier du gouvernement. Il y a donc une antinomie entre un idéal projeté et ce qui est mis en place en fin de législature. L. MAUFROY > Je vous suis quant aux nécessaires autonomie, expertise et prospective à mettre en place. Les appels à candidatures internationales lancés en Belgique, en France ou en Hollande vont d’ailleurs dans ce sens. J. DECLERCK > En effet, mais à nouveau s’il y a urgence à développer un projet cohérent qui relie la vocation internationale de Bruxelles aux besoins de ses habitants,… le PDI n’ EST PAS cette vision, pas plus qu’il n’est un plan mais un programme de développement…. sans plan !!! Si le rôle de l’ADT est d’implémenter le PDI où se trouve alors son ambition créative ? PH. WACHTELAER > Ne tirons pas sur le pianiste. La mise en place d’une ADT fait sens, à condition toutefois d’être dépolitisée et de faire autorité par la pertinence de ses propositions. W. DRAPS > Lorsqu’on fera le bilan (mi-2009) on constatera que la liste des gens employés au sein de l’ADT compte pour l’essentiel d’anciens membres de la SRDU et de cabinets de l’actuel gouvernement. L. MAUFROY > Il n’y a pas, à ce jour, un seul membre d’un cabinet de l’actuelle majorité au sein de l’ADT. Notre objectif est de compter rapidement une vingtaine de collaborateurs et de voir si le prochain gouvernement a l’ambition d’une agence plus importante. CHACUN SON RÔLE ? N. GILSON > Dès lors que vous dites que le PDI se base sur des zones définies et que vous n’y ferez rien d’autre que ce qui figure dans ce plan/programme, où se trouve le bouillonnement d’idées. La volonté prospective n’est-elle pas déjà tuée dans l’oeuf ? L. MAUFROY > Nous en sommes aujourd’hui au volet de la connaissance territoriale qui repose sur le développement d’analyses objectives. W. DRAPS > L’analyse objective est du ressort de l’administration. Qu’une agence y puise les informations nécessaires, soit. Par contre, essayer d’améliorer la connaissance du terrain via un organe aussi fragile qu’une asbl n’est pas adéquat. L. MAUFROY > Outre que les données de l’administration ne sont pas actualisées, il n’est pas question que l’ADT se substitue aux organismes officiels mais bien qu’elle utilise leurs informations (p.ex. celles de l’IBSA = Institut Bruxellois de Statistiques et d’Analyse) afin de réaliser une analyse de second niveau et de disposer d’indications sur les évolutions possibles. C’est un autre travail d’interprétation scientifique. Si le mandat de l’ADT face à l’administration doit effectivement être clarifié, ce n’est toutefois pas l’ADT qui établira les schémas directeurs (elle sera partie prenante mais c’est l’administration qui pilotera). Par contre, elle apportera ses conseils et jouera le rôle d’interface/facilitateur au moment de la mise en oeuvre.